sur le fil de notre Création
- Claire Hourlier
- 19 avr. 2017
- 3 min de lecture
Vampirisée. Je me suis faite vampiriser pendant des années. Si aujourd’hui je peux le voir avec discernement, c’est probablement que le processus prend fin. Que j’en sors. Que je ne l’accepte plus. Que j’aspire à autre chose.
Tellement de filtres m’ont empêchée de voir cela. Ou plutôt tellement de filtres s’étaient installés pour aller les expérimenter les uns derrière les autres. Les uns entremêlés aux autres ! Je n’ai peut être pas terminé de tirer sur le fil mais maintenant je sais reconnaître la bobine d’origine.
Ma mère, qui était une extraordinaire couturière (elle l’est toujours), avait également un incroyable talent pour mettre ses affaires sens dessus dessous (elle l’a toujours) quand elle était dans ses créations.
Quand il s’agissait de retrouver l’objet perdu, de remettre de l’ordre, j’étais la petite main attitrée et ça m’allait très très bien.
Plier et ranger les tissus dans l’armoire, démêler les bobines de fil, les enrouler, les ranger dans les tiroirs. Aimanter les aiguilles, les ramasser, du sol au plafond, ou presque, les ordonner, les sortir des fils. Autant de petites tâches et de grandes responsabilités qui me procuraient une joie immense.
Celle d’être l’élue du moment et de la fratrie aux côtés de ma mère. D’imaginer sentir que ma présence pouvait l’apaiser, parfois, quand son propre rythme et celui de la Singer montaient dans de grandes accélérations synchronisées. Et surtout, de sentir sa gratitude envers moi quand j’avais accompli mes petits exploits de petite main officielle.
Pour mener à bien cette fonction honorifique, je crois que ce qui m’accompagnait le plus, c’était ma patience. Ce goût de la lenteur, qui pouvait mettre toute ma famille en horreur dans certains domaines quotidiens de la vie, prenait ici, toute sa place, et devenait une force majeure. Un espace consacré à lui faire honneur.
La vie est rude quand on a un besoin de contemplation hors du commun. Tout va trop vite. Ce temps intérieur qui n’a pas sa place et qui se confronte en permanence à l’urgence d’avancer est une terrible violence. Au moment où j’écris ces mots, je comprends. Avec mon corps, mon cœur. Je pleure. De sentir ces parts de moi qui ont souffert d’être bafouées.
La vie est un rouleau compresseur. La vie est douceur. Douce heure. Quand l’heure est venue de comprendre, de reconnaître que tout existe à la fois. L’extrême douceur et l’extrême violence se côtoient, se tutoient, avec toute la palette de couleurs pour nourrir cet arc en ciel. Tout est là. Présent. Disponible. Emprunter les couleurs que vous voulez, que vous pouvez. Et un jour, vous comprenez, la beauté de votre art. Cet art personnel, compréhensible presque uniquement de vous-même. Cette œuvre d’art qui parle de nous, qui est en nous, qui se manifeste depuis des années, avec intensité, sourdement, ardemment, violemment. Ce que l’on a rangé dans les tiroirs de « faiblesses », les armoires de « défauts », qui prennent une autre dimension quand on leur offre leur véritable place, sans chercher à correspondre à un genre, à une mode, à une tradition.
Libre de tout. Libre de nous. Ivre de nous.
Des fils, j’en ai démêlés, dans l’atelier de couture de ma mère, dans mon propre atelier de la vie, des fils j’en ai démêlés.
Ma patience est ma meilleure alliée car elle sait. Que ce n’est pas une histoire de temps. L’histoire que je me raconte est déliée du temps. Etre hors du temps .. une aberration !? un luxe !? une illusion !? une contre façon !? … peu importe … être hors du temps c’est MA perception et qu’importe ce qu’elle évoque extérieurement. Ce qui prime c’est qu’elle vibre mon rythme.
Ma patience est aussi ma pire ennemie. C’est elle qui m’a permis d’endurer toutes ces atrocités durant des années. C’est elle qui m’a conduit à me laisser vampiriser.
La patience est une composante importante de ma personnalité. Elle m’apporte son lot de surprises.
Honorer sa présence. Simplement.
Je ne pensais pas, qu’en partant de la vampirisation, j’irais rendre visite à la patience … les mystères de la vie, et ses explorations infinies. De fil en aiguille, on tisse une toile, dont on croit connaître l’origine de la matière et que l’on ne cesse de découvrir et réapprendre au travers de nouvelles perceptions.
Peut être que la prochaine fois que j’aurai l’élan de m’exprimer sur la patience, l’encre de mon stylo coulera dans les veines du vampire que je suis, du vampire que j’accueille, du vampire qui sommeille, du vampire qui s’envole et renaît en vent pire.
Destins mêlés de sang, destins cousus de fils blancs, destins croisés de fils dorés, argentés.
