Aux confins de notre lumière
- Claire Hourlier
- 15 mars 2020
- 7 min de lecture
Je pense à Anne Franck, à son confinement. Celui qui pousse à l’introspection. A la confession. A l’ouverture de soi à soi. De soi à un journal. Déposer l’intime, la part de soi qui s’exprime du tréfonds, à l’extérieur de soi. Pour ne pas tout garder, et pour regarder. Admirer ses propres trésors enfouis, ignorés. Dans l’impasse, des trésors apparaissent. Des ressources insoupçonnées se révèlent. Des remèdes, des armes. Des peurs désarment. Nos fantômes s’arment. On les voit bien. Ceux des autres. Ceux qui se sont précipités pour vider les rayons de pâtes, et de papier hygiénique.
« Les autres, les autres, c'est pas moi c'est les autres... Les autres, les autres, c'est pas moi c'est les autres... Les autres, les autres, c'est pas moi c'est les autres... Les autres, les autres, les autres. » … sur un air d’Abd Al Malik.
L’enfermement nous ouvre des portes, mais pas nécessairement celles que l’on souhaite. Les cadavres sortent des placards.
On peut se rencontrer vraiment dans le repli de soi, le silence absolu, d’un monastère, d’une cellule de prison, d’une chambre ou d’une cellule familiale.
Les expériences mystiques, de l’ordre de la révélation à soi ont souvent lieu dans des situations extrêmes, de choc, d’isolement. Rarement au cours d’une soirée bien arrosée où l’on est pourtant bien entouré … à moins que ça ne soit la soirée où l’eau a été transformée en vin.
Ce confinement va permettre aux familles de se rapprocher un peu plus. Sauf peut-être celles qui sont décomposées. Et encore. La distanciation qui permet le rapprochement. Nous vivons ce paradoxe. Comme tant d’autres à la fois.
« Si proche, si loin ». Parfois on se sent loin de nos proches, de ceux avec qui nous partageons notre vie, sous le même toit, dans la même communauté. Et parfois on se sent proche de personnes qui sont loin. La distance n’existe finalement que dans la projection que nous en faisons.
Personnellement, je sens beaucoup de confusion et d’agitation en moi. Moi et mon âme solitaire. Moi qui suis capable de me mettre très facilement en quarantaine quand je le décide. Moi qui sors de cette quarantaine dans laquelle je me suis mise ces derniers mois. Est-ce cela alors qui serait entrain de s’exprimer ? De la frustration ? Au moment où je décide de sortir le nez de ma tanière, j’y suis renvoyée manu militari !? Même si je peux sentir la part de moi rebelle qui s’exprime, je ne la sens pas très vaillante. Je veux dire que je ne crois pas que ce soit la véritable raison de mon agitation.
Hier au soir, je suis allée au cinéma, dans le cadre du festival univerciné italien. On s’y était fixé rendez-vous avec une amie. Je décide de prendre mon billet en l’attendant. L’ouvreuse m’annonce qu’il ne reste que 2 places, alors que la projection est dans la plus grande salle. Je suis surprise. Elle m’explique que malgré le nombre de places disponibles dans la salle, le nombre d’entrées est plafonné à 100. Ah bon ?! J’apprends donc à cet instant que les restrictions ont encore baissé !! Je vais aussi acheter la sienne dans ce cas ! L’autre ouvreuse annonce à la cantonade qu’il n’y a plus de place pour le film que nous allons voir. Elle ajoute également que le cinéma fermera ses portes à la fin de notre séance. A minuit, les bars suivront aussi ce mot d’ordre. On m’invite à aller patienter dans la rue, mesures obligent. Pas de file indienne disciplinée. Personne ne s’agglutine à son voisin pour être sûr de ne pas perdre un centimètre sur l’avancée à venir vers la salle, le groupe est épars. Il y a quelques visages masqués. Mon amie arrive un peu essoufflée. Je lui dis qu’il n’y a plus de place mais que nous avons obtenu les derniers sésames ! Elle est surprise sans l’être et me dit que nous faisons partie des téméraires qui osent encore sortir de leur maison !!!
Je me sens troublée par cette affirmation et à ce moment, je m’interroge en silence : sortir de chez soi, un acte héroïque ou égoïste ?
Je reçois simultanément un message d’un ami qui m’informe et me confirme qu’à partir de demain, « tout sera fermé sauf l’utile. »
Je demanderai quand même à la directrice de cinéma, en sortant de la séance, comment il est possible que le cinéma ne soit pas jugé « utile » !? Nous rigolerons ensemble avant que nos chemins ne se séparent pour une durée indéterminée.
Dans la grande salle, nous n’étions donc qu’un petit groupe … de privilégiés … ?! Les acharnés du ciné ? Si je n’avais pas conscience de ces mesures avant d’arriver au cinéma, par contre, j’ai pu sentir pendant toute la séance, le poids de cette fermeture qui allait se faire sur nos talons. Nous pouvions vraiment dire ou chanter « c’était la dernière séance, … et le rideau sur l’écran est tombé ! ». Quel drôle de ressenti. De vivre dans le présent, la fermeture annoncée, « jusqu’à nouvel ordre ».
Vivre cet étrange moment où concrètement rien n’a changé et pourtant rien n’est plus pareil !!
Que s’est-il passé depuis une semaine où les « on ne s’embrasse pas », y compris dans le cadre d’un festival à grand public, n’avaient pas d’emprise sur moi et aujourd’hui ? Même si j’ai bien entendu que les cas semblent plus présents et avérés aujourd’hui qu’il y a quelques jours. Ils restent faibles et minoritaires globalement.
Non aujourd’hui, ce n’est pas la part rebelle que je sens s’agiter en moi. C’est, au contraire, la bonne citoyenne, à qui il tient à cœur de respecter les consignes, car il en va de l’état du collectif et de sa santé.
Est-ce vraiment le cas ? N’est-ce pas une nouvelle illusion qui prend de véritables airs de ? Bien sûr, il y a des morts, et ça, c’est très concret. Est-ce nécessaire d’en passer par de telles mesures ?
Parce que, hier, en arrivant au cinéma, je me sentais bien, et bizarrement dans la salle de cinéma, j’ai commencé à suspecter des picotements dans mes yeux, et j’ai été prise aussi d’un gros mal de crâne. Des signes simples de fatigue qui prennent tout à coup des airs insidieux de virus. Quand on s’est quittées avec mon amie, je n’avais aucune envie de l’embrasser ou de la serrer dans mes bras. Et ça, franchement, ça m’a vraiment contrariée.
Je suis rentrée chez moi à pied, car je sentais que j’avais besoin de faire redescendre dans mes pieds cette agitation, contrairement aux rues de Nantes qui étaient, elles, étrangement calmes pour un samedi soir. La fièvre d’un samedi noir ?? La contrariété s’est estompée, mais elle n’a pas totalement disparue.
Je me suis réveillée tardivement, avec un corps lourd qui peine à se lever, se relever. Une amertume.
J’ai lu, écrit, reçu des messages, parcouru des publications pour sentir, renifler l’ambiance. Solidarité, voisinage, solutions locales … tous ces mots qui me réjouissent d’ordinaire ne produisent par leur effet aujourd’hui. Mais qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ?
Et puis cette vidéo de Lio qui répond à Muriel Cerf à propos de son livre sur Cantat lors d’une émission de Thierry Ardisson -qui date de 2006. Le syndrome de Stockholm. Encore lui .. Décidément, il revient beaucoup actuellement. J’entends. Les deux point de vue qui s’opposent. Je pars avec un a priori favorable pour celui de Muriel Cerf, car pour moi, il est important de dissocier l’œuvre et l’artiste de l’homme (un sujet d’actualité ô combien brûlant …). Alors brandir le syndrome ici m’agace. Celui porté par Lio ne souffre aucune controverse. Elle assène les coups les uns derrière les autres et ne démord pas « non, il n’est pas dur pour lui aujourd’hui de vivre », je l’écoute « il a changé sa version des faits pour assurer sa défense » je vacille « il a laissé Marie mourir dans le lit » « les manipulateurs sont des joueurs de claquettes hors norme » je flanche « aucune passion ne justifie les coups », ok je suis ko debout … Peut-être je dois remettre le syndrome de Stockholm dans le jeu. Et reconnaître qu’on ne se débarrasse pas du bourreau facilement.
Je sors me promener. Dans la rue, je croise un papa nerveux au milieu de ses 3 enfants qui dit « tu sais quoi ? je n’ai pas envie de savoir ! ». Cette bribe me suffit pour me ramener à une évidence : on se plaint souvent de ne pas savoir, de ne pas avoir su, alors qu’en réalité, nous n’avons pas toujours envie de savoir ! C’est tellement plus pratique parfois de ne pas savoir. Fermer les yeux. Se bercer d’illusions. Quand on a entamé le chemin de la vérité, il est difficile de faire marche arrière. Elle s’offre à nous, petit à petit ou violemment. Mais elle nous parvient, indéfectiblement.
Je rentre chez moi. Je saisis mon livre (après m’être lavée soigneusement les mains, il va sans dire) et les premiers mots qui m’apparaissent avant même d’avoir repris ma lecture là où je l’avais laissée sont « elles ont transgressé ». Bing !
Transgression ... soumission … Je crois que je le tiens mon vrai sujet de fond dans cette actualité mondiale. Car il rejoint le sujet de mon actualité personnelle. La friction n’est pas le fruit du hasard.
Quand on a passé l’essentiel de sa vie dans une soumission totalement voilée, ignorée, voire consentie, même si c’est par ignorance, et que celle-ci se dévoile petit à petit dans les détails comme dans l’essentiel, les demandes officielles de soumission ne coulent pas de source.
Cette injonction à se soumettre, quand bien même il s’agisse d’une affaire de santé publique, a engendré chez moi un conflit, l’a révélé ou exacerbé.
Et quand la lumière commence à se faire, la nuit devient tout à coup très étoilée.
Claire
PS je relis ce que j’ai écrit ce matin et au moment où mes yeux passent sur « des armes », la chanson de Noir Désir se déclenche, comment ça, jamais de hasard ??
